Diferencia entre revisiones de «Pindare Olympiques»

De Amereida
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Le jour après nous allons au terrain. La menace de celui qui ne veut pas nous le donner subsiste. Mais J. qui a la charge de la réforme urbaine au Chili est disposé à nous aider. Le décret peut passer. Mais encore... On me charge du déjeuner. Je passe la matinée à cela. J’arrive au terrain, dans un bosquet de pins. Tout le monde arrive, fatigué, avec soif. On étend les nappes, on sert. Mais avant nous écoutons Hölderlin. Et on mange, et on boit. Depuis très tôt le matin tous travaillent.
 
Le jour après nous allons au terrain. La menace de celui qui ne veut pas nous le donner subsiste. Mais J. qui a la charge de la réforme urbaine au Chili est disposé à nous aider. Le décret peut passer. Mais encore... On me charge du déjeuner. Je passe la matinée à cela. J’arrive au terrain, dans un bosquet de pins. Tout le monde arrive, fatigué, avec soif. On étend les nappes, on sert. Mais avant nous écoutons Hölderlin. Et on mange, et on boit. Depuis très tôt le matin tous travaillent.
  
Beaucoup de gens ont peur de nous. Les partis politiques, en sourdine restent sceptiques et ils attendent notre échec. L’université vacillante est contre. Les pères et les tantes contre. Avec prudence nous avançons sans arrêt. La loi d’urbanisme établit que ce lieu du terrain est réservé aux futures récréations (loisirs). On avait pensé demander une autre destination puis­qu’on ne pouvait pas l’habiter. Mais je recueille la désignation. D’autre part A. sait aussi bien que moi que l’habitation n’a jamais donné une architecture (le « problème habitationnel » ). Une ville ne finit pas, mais commence, par son ''agora''. Mais nous ne savons pas ce que c’est que l’agora ; celle d’aujourd’hui bien sûr. Dans ce carrefour est mort l’élan de Le Corbusier. Le « cœur » de la ville n’a jamais été et ne pourra pas être la simple réunion d’activités différentes. Le cœur est beaucoup plus qu’un organe. Cette « ville ouverte » commence avec son agora. Mais vie, travail et études sont en vérité la ré-création même. L’agora, nous disons donc, sera située aux bords. Non dans ladite « terre ferme » ; elle sera dans le grand sable et la mer. Il n’y a déjà plus de valeur d’en haut ou d’en bas, seulement réalité émergeante.
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Beaucoup de gens ont peur de nous. Les partis politiques, en sourdine restent sceptiques et ils attendent notre échec. L’université vacillante est contre. Les pères et les tantes contre. Avec prudence nous avançons sans arrêt. La loi d’urbanisme établit que ce lieu du terrain est réservé aux futures récréations (loisirs). On avait pensé demander une autre destination puis­qu’on ne pouvait pas l’habiter. Mais je recueille la désignation. D’autre part A. sait aussi bien que moi que l’habitation n’a jamais donné une architecture (le « problème habitationnel » ). Une ville ne finit pas, mais commence, par son ''agora''. Mais nous ne savons pas ce que c’est que l’agora ; celle d’aujourd’hui bien sûr. Dans ce carrefour est mort l’élan de Le Corbusier. Le « cœur » de la ville n’a jamais été et ne pourra pas être la simple réunion d’activités différentes. Le cœur est beaucoup plus qu’un organe. Cette « ville ouverte » commence avec son agora. Mais vie, travail et études sont en vérité la ré-création même. L’agora, nous disons donc, sera située aux bords. Non dans la dite « terre ferme » ; elle sera dans le grand sable et la mer. Il n’y a déjà plus de valeur d’en haut ou d’en bas, seulement réalité émergeante.
  
 
Nous considérons le décret. Permission pour des clubs, auberges, hôtels, campings, activités culturelles, sports. Nous traduisons : logements, théâtres, tribunes, forêts, chemins, œuvres (ce qui a été jadis des statues et des fresques). Cénotaphes d’un usage réel (celui de Henri sera tribune par ex, ainsi les morts seront parmi les vivants). Et les campements seront des ateliers. Notre industrie sera audacieuse. Nous ferons même des automobiles, les moteurs compris ; sans requérir de concentrations. Non, nous ne voulons plus changer la désignation du terrain. Nous confirmons un destin : la récréation. Mon cher, je reste dans la partie haute du terrain à filmer. Je descends. J’arrive aux sables. Toujours tournant le film. Les sables dévorent l’œil, on ne voit rien. A chaque pas tout se cache. Je rencontre quelqu’un et je demande: où est l’agora ? « Derrière cette dune », répond-il à moitié sceptique : j’y vais. Tellement proche du chemin... Je grimpe, j’arrive à une petite colline séparée par une petite vallée et sur l’autre colline quelques-uns travaillaient avec Claudio et Fabio. Il y a deux trépieds de bronze placés à 7 mètres de distance l’un de l’autre. Je suis désorienté. Je demande. F., plein de ses infinies pudeurs, transmet le mot de A. : l’agora n’est pas ponctuelle. Elle remplit un long et large se-donner (comme un parcours de multiples situations). Il faut déployer ce lieu. Regardant vers l’arrière, la montagne, le ''Mauco'' de 3500 mètres de hauteur ; et là les pins. Regardant vers la mer la plus large ouverture on voit les deux villes (Concon et Quinteros). En face il y a deux collines assez petites. Entre elles on voit l’île. A. y trace un fjord. La mer rentrera et sera accueillie et pas seulement bordée ou pénétrée. D’un autre côté on sème. On plante cent arbres. L’agora est tout. Elle sera parmi les arbres, les chemins, près de la mer ; au-delà de la voie ferrée qui traverse la dune. Et de ce côté-ci de la voie ferrée jusqu’au chemin. Et entre les deux collines on voit les voiles qui hier furent hissées dans l’île. A partir de ce moment sous une tente, sans arrêt, les gens de l’atelier d’A., la « Bottega », travaillent sur place dans les sables. Je descends vers la mer, il y a deux kilomètres de dunes. Je regarde en passant ceux qui plantent la forêt du rien. Je m’approche des collines qui s’ouvrent comme des bras d’une fourche. En ce moment le soleil se couche entre les deux. Je me retourne, la lune vient de sortir derrière El Manco, pleine lune. Un axe incroyable traverse le terrain. La lune derrière la montagne, face au soleil derrière l’océan.
 
Nous considérons le décret. Permission pour des clubs, auberges, hôtels, campings, activités culturelles, sports. Nous traduisons : logements, théâtres, tribunes, forêts, chemins, œuvres (ce qui a été jadis des statues et des fresques). Cénotaphes d’un usage réel (celui de Henri sera tribune par ex, ainsi les morts seront parmi les vivants). Et les campements seront des ateliers. Notre industrie sera audacieuse. Nous ferons même des automobiles, les moteurs compris ; sans requérir de concentrations. Non, nous ne voulons plus changer la désignation du terrain. Nous confirmons un destin : la récréation. Mon cher, je reste dans la partie haute du terrain à filmer. Je descends. J’arrive aux sables. Toujours tournant le film. Les sables dévorent l’œil, on ne voit rien. A chaque pas tout se cache. Je rencontre quelqu’un et je demande: où est l’agora ? « Derrière cette dune », répond-il à moitié sceptique : j’y vais. Tellement proche du chemin... Je grimpe, j’arrive à une petite colline séparée par une petite vallée et sur l’autre colline quelques-uns travaillaient avec Claudio et Fabio. Il y a deux trépieds de bronze placés à 7 mètres de distance l’un de l’autre. Je suis désorienté. Je demande. F., plein de ses infinies pudeurs, transmet le mot de A. : l’agora n’est pas ponctuelle. Elle remplit un long et large se-donner (comme un parcours de multiples situations). Il faut déployer ce lieu. Regardant vers l’arrière, la montagne, le ''Mauco'' de 3500 mètres de hauteur ; et là les pins. Regardant vers la mer la plus large ouverture on voit les deux villes (Concon et Quinteros). En face il y a deux collines assez petites. Entre elles on voit l’île. A. y trace un fjord. La mer rentrera et sera accueillie et pas seulement bordée ou pénétrée. D’un autre côté on sème. On plante cent arbres. L’agora est tout. Elle sera parmi les arbres, les chemins, près de la mer ; au-delà de la voie ferrée qui traverse la dune. Et de ce côté-ci de la voie ferrée jusqu’au chemin. Et entre les deux collines on voit les voiles qui hier furent hissées dans l’île. A partir de ce moment sous une tente, sans arrêt, les gens de l’atelier d’A., la « Bottega », travaillent sur place dans les sables. Je descends vers la mer, il y a deux kilomètres de dunes. Je regarde en passant ceux qui plantent la forêt du rien. Je m’approche des collines qui s’ouvrent comme des bras d’une fourche. En ce moment le soleil se couche entre les deux. Je me retourne, la lune vient de sortir derrière El Manco, pleine lune. Un axe incroyable traverse le terrain. La lune derrière la montagne, face au soleil derrière l’océan.

Revisión del 17:23 3 oct 2019

Pindare Olympiques
Pindare-Olympiques-portada.png
TipoArtículo
EdiciónRevue de Poésie Nº 40, pp. 152-172, Éditions Ducros.
CiudadBordeaux
FechaError: fecha y hora no válidos.
NotasEl documento corresponde a una versión digitalizada del original que nos facilitó Oscar Andrade; la edición anota a la entrada: « Que ce numéro soit dédié à la mémoire de notre ami Henri Tronquoy ». Al final de la edición se lee el equipo de la revista: « Fait par : Jacques Bontemps, Barbara Cassin, Christos Clair, Robert Davreu, Michel Deguy, Claude Dupont, François Fédier, Dominique Fourcade, Alain Huraut, Godofredo Iommi, Patrick Levy, Jorge Perez-Roman ».

Trois moments. L’impossibilité prévue d’une date ; la valeur propre de cette même date. La naissance d’une architecture ; la transparence ou la latitude de A. C. L’acte philosophique, F. F. a pleine vue. Tu ne peux pas imaginer avec quel soin (sans gravité, distrait) je collais au jour 20. La date est arrivée de la-bas ; attachée au foyer poétique précis qui s’est ouvert un jour pour nous en Phalène (Dichtermut, le « lieu », etc.) et dans la Revue de poésie, née dans cette lumière (le premier numéro), en plus du secret qui par cette voix nous a touchés tous, chacun a sa manière. Participer ici du va-et-vient d’un jeu et (anti-jeu) que nous faisons a 70, et tacher (presque par instinct) de ne pas s’égarer dans l’accès d’un millier de faits pratiques mêlés. Effroi, fatigue, rage, désolation étaient inutiles. Plus vains encore mon enthousiasme, mes fictions intelligentes, ma naïveté, ma flexibilité. Inutile tout ce qui semblerait dépendre de soi-même, de sa volonté, de sa plus ou moins grande aptitude et force. Et tout cela pourtant inclus, comme ce qui est de tous, et rien de cela n’étant cause directe ou indirecte de rien. C’est tellement difficile de ne pas penser en causalités, que le seul soupçon d’une telle réalité nous paralyse. Mais a chaque pas, le chemin s’ouvrant, cet artifice mental se défait pour nous indiquer non que cela n’existe pas mais la simplicité qui se cache définitivement.

Petit a petit la date s’est convertie en clef. Elle s’est presque endurcie, devenue superstition. Rien du prévu ne s’est accompli. La date est advenue par elle-même. La date a été tenue, même sans lieu ni terre. Dans la dissolution de ce qui était attendu, culmination de mois de tensions, d’excuses, de travaux, se sont produits deux faits : l’arrivée soudaine de F. F. qui a empêché toute annulation, et l’apparition de la date par elle-même sans dépendance a rien de ce qui était prévu ou planifié autour d’elle. La date s’est déroulée, dans l'île des oiseaux, un rocher recouvert de guano, avec des oiseaux morts éparpillés, avec la grotte des pingouins. Quand F.F. a lu qu’un lieu n’est pas un lieu, la parole, presque inaudible d’innocence, décrivait, c’est-a-dire défaisait, elle laissait tout a sa place, mis à nu.

Dans ces moments, le jour avant, j’en ai fini avec E. Tout est possible sauf la mauvaise foi poétique dans le jeu poétique. Quand quelqu’un est vaincu par son propre alambic où ses imaginations (fantaisies) se prennent pour les « lois de la troisième réalité », et qu’il devient avec avidité son propre hypocrite déguisement en victime, alors Fair libre le décompose en sa « vérité », et a partir de ce moment, jusqu’a Dieu sait quelle détransmutation, il cesse d'être avec nous. Ainsi E. Inutilement on pensera aux facteurs psychologiques, etc. II ne s’agit pas de cela. La réalité c’est que pendant que je m’écroulais face a la date déjà presque inutile, E. décida, (je dis bien décida) de me suspecter de tricheries poétiques. Je l’ai presque giflé. Mais lui, réalisant sa décision, le premier jour de notre rentrée dans le terrain, pendant la soirée, se cachant derrière la boisson et l’obscurité avec un langage de la pire espèce, littérateur, il introduisit dans le champ de l’acte poétique les ressentiments intolérables. J’ai vu et su son action.

La virginité existe en poésie. Tout s’use, se perd, se rencontre, se fond, se jette. II n’y a pas de relation qui soit intouchable, sauf ce rien laisse(r) intouché. Cette intouchabilité, amour, distance d'où la piété s’étend et ouvre l’accueil, éjecte celui qui ne la reconnait pas. De la l’absence de subjectivismes, et par la d’objectivisme, dans la poésie.

Les uns appellent cela transcendance, d’autres lumière de l’être, d'autres harmonie, etc. : la « virginité », comme, il y a plus de 30 ans, l’Hermandad de la Orquidea l’appela, face a « la tache innocente et dangereuse » de Hölderlin, ne se donne, ne se change, ne se négocie, ne se troque, ne se viole. Elle est le jeu rigoureux de la liberté. Cela peut paraitre implacable, mais ne l’est pas. Elle demande les épaules de tout, — le côté invisible de n’importe quelle instantanéité. Elle est intouchable, non par prohibition ou difficulté invincible, mais simplement parce qu’elle n’a pas de toucher. Elle-même ne peut pas se perdre ; elle est l’éther de Hölderlin. De tous et pour tous, elle n’additionne jamais puisqu’elle n’opère pas. Personne ne peut la perdre. De la qu’il n’y a pas d’imaginable violence assassine. Elle est la transgression même ; jamais les transgressions. Dans ce sens E. ne peut rien faire. Mais quand, usurpant son point de vue comme si on pouvait l’occuper, on croit savoir et pouvoir rejeter ce qu’elle n’est pas, qu’est-ce qui se passe ? Rien. L’usurpation ne tient pas. Ainsi apparait E. sous la date ; date qui s’est déplacée de tout ce qui était prévu, qui n’a pas aboli ce qui était voulu, mais a excédé toutes les suffisances pour se manifester libre de la dépendance imaginée.

Le 20 s’est fait de lui-même, pour son propre compte. Dans la houle mélancolique nous tenant en dehors de ce qu’on aurait voulu. il a étendu sa douceur. Les télégrammes sont arrivés, paroles réelles de là-bas. Nous traversions la mer en bateaux parmi des bandes d’oiseaux. « Ceints par les eaux » littérale­ment, nous nous sommes rejoints, et le poète qui nous convoque fut entendu. Ainsi subitement s’est levée une autre façon (?) de s’orienter.

J’ai vu naître ces choses. Je te raconte.

Nous étions dispersés sur les deux niveaux de l’île blanchie en grande partie. La terre au fond. Sur la rive un groupe agitait des grands chiffons auxquels nous répondions, séparés par la mer. Après un certain temps, dans une partie basse, nous nous sommes réunis. Là je parlais. Je les avais portés jusqu’à cette limite. L’accès à la terre que j’attendais ne se produisit pas. La poésie, ce jour-là, touchait cette limite. Lieu; « formule » ; tout si pleinement réel, là, ainsi. Savoir que la limite n’est pas l’infranchissable, mais l’avènement de ce qui s’ouvre. Que l’ou­verture est latitude. Là, je rends le don que j’avais demandé il y a deux mois! Je m’écarte. Je me cache pour me permettre quelques larmes ; au retour j’apprends que les autres ont parlé. Ils ne savaient quoi faire. Alberto réordonnait l’orientation. Il fallait situer dans cette île les points d’orientation pour la terre. Dans un certain désarroi on lui demande de signaler. Alberto quelque peu surpris, et dans une fatale distraction, dit : « Ici » Tous se regardent sans comprendre. « Ici », répète Alberto. Les quatre signes que nous portions (des lampes avec des voiles accrochés de différentes couleurs) se sont réunis là. « Ici soit » — le lieu qui n’est pas un lieu. Rien à voir, alors, avec les « directions » (les quatre points cardinaux connus). Rien à voir avec les « fonctionnalismes » climatiques ou solaires. Le lieu qui n’est pas un lieu. le point (pour l’appeler de quelque façon connue) ; qui n’est pas au centre d’une périphérie, qui n’établit pas à partir d’une superficie des hauts et des bas ou des directions. Il surgit d’une concrète et précise situation poétique. La date, le 20, qui nous touche là-bas et ici et aussi tant d’autres partout, cette date qui-s’écarte du pré-vu, justement se faire d’elle-même, catalyse son élémentarité sans pareil (virginité, latitude).

« Ici a été dit... » Serait-ce le sens de la parole « Nord » dans sa signification seconde ? Ainsi émerge l’initiation ; la trace. Quelle raison de plus pour donner raison du fait? La justesse est difficilement pensable.

Cher J., maintenant, peu à peu apparaissent les trous que Alberto faisait en pleine Pampa de Patagonie pendant L'Amé­reide, Je me souviens de notre désarroi là-bas. Tant d’efforts, tant de tensions, Enfin dans la plénitude de la mer intérieure, Alberto disait et faisait faire des trous comme un enfant et il nous laissait sans défense, inutiles, Nous l’entourions. Sans plus il abandonna ce qu’il faisait. Il sort en courant par le chemin en donnant des lieux. Et nous agissons. Mais face à la supposée horizontalité nous ne savons plus que faire des verticales. Face aux sans-chemin, le chemin tracé. L'inapparence de donner à l’horizontalité son propre sens, enfouie en elle-même ... L’incli­naison pour la voir (ce trou comme la lecture des traces) qui faisait de ce sol un ciel à explorer et à étendre. L'incroyable anticonventionnalisme que l’acte si simple d’Alberto a découvert nous a laissés dehors. Je n’ai jamais parlé de cela. Aujourd’hui je le fais. Je l’ai vu renaître dans l’île. Ainsi, simplement, simple. Quatre points cardinaux? Non ! Mais pas davantage Un. L’un est fonction des autres. Simplement : ce qui a été dit est depuis ici, concrètement. Je ne peux pas dire ce que c’est. Un mode d’apparition qui redonne la mer, les nuages, les oiseaux, les êtres humains. Et à partir de l’acte de hisser les voiles, de la chance visible derrière quelques rochers blancs depuis la terre, jusqu’à ouvrir la terre, ainsi naissent les architectures.

Le jour après nous allons au terrain. La menace de celui qui ne veut pas nous le donner subsiste. Mais J. qui a la charge de la réforme urbaine au Chili est disposé à nous aider. Le décret peut passer. Mais encore... On me charge du déjeuner. Je passe la matinée à cela. J’arrive au terrain, dans un bosquet de pins. Tout le monde arrive, fatigué, avec soif. On étend les nappes, on sert. Mais avant nous écoutons Hölderlin. Et on mange, et on boit. Depuis très tôt le matin tous travaillent.

Beaucoup de gens ont peur de nous. Les partis politiques, en sourdine restent sceptiques et ils attendent notre échec. L’université vacillante est contre. Les pères et les tantes contre. Avec prudence nous avançons sans arrêt. La loi d’urbanisme établit que ce lieu du terrain est réservé aux futures récréations (loisirs). On avait pensé demander une autre destination puis­qu’on ne pouvait pas l’habiter. Mais je recueille la désignation. D’autre part A. sait aussi bien que moi que l’habitation n’a jamais donné une architecture (le « problème habitationnel » ). Une ville ne finit pas, mais commence, par son agora. Mais nous ne savons pas ce que c’est que l’agora ; celle d’aujourd’hui bien sûr. Dans ce carrefour est mort l’élan de Le Corbusier. Le « cœur » de la ville n’a jamais été et ne pourra pas être la simple réunion d’activités différentes. Le cœur est beaucoup plus qu’un organe. Cette « ville ouverte » commence avec son agora. Mais vie, travail et études sont en vérité la ré-création même. L’agora, nous disons donc, sera située aux bords. Non dans la dite « terre ferme » ; elle sera dans le grand sable et la mer. Il n’y a déjà plus de valeur d’en haut ou d’en bas, seulement réalité émergeante.

Nous considérons le décret. Permission pour des clubs, auberges, hôtels, campings, activités culturelles, sports. Nous traduisons : logements, théâtres, tribunes, forêts, chemins, œuvres (ce qui a été jadis des statues et des fresques). Cénotaphes d’un usage réel (celui de Henri sera tribune par ex, ainsi les morts seront parmi les vivants). Et les campements seront des ateliers. Notre industrie sera audacieuse. Nous ferons même des automobiles, les moteurs compris ; sans requérir de concentrations. Non, nous ne voulons plus changer la désignation du terrain. Nous confirmons un destin : la récréation. Mon cher, je reste dans la partie haute du terrain à filmer. Je descends. J’arrive aux sables. Toujours tournant le film. Les sables dévorent l’œil, on ne voit rien. A chaque pas tout se cache. Je rencontre quelqu’un et je demande: où est l’agora ? « Derrière cette dune », répond-il à moitié sceptique : j’y vais. Tellement proche du chemin... Je grimpe, j’arrive à une petite colline séparée par une petite vallée et sur l’autre colline quelques-uns travaillaient avec Claudio et Fabio. Il y a deux trépieds de bronze placés à 7 mètres de distance l’un de l’autre. Je suis désorienté. Je demande. F., plein de ses infinies pudeurs, transmet le mot de A. : l’agora n’est pas ponctuelle. Elle remplit un long et large se-donner (comme un parcours de multiples situations). Il faut déployer ce lieu. Regardant vers l’arrière, la montagne, le Mauco de 3500 mètres de hauteur ; et là les pins. Regardant vers la mer la plus large ouverture on voit les deux villes (Concon et Quinteros). En face il y a deux collines assez petites. Entre elles on voit l’île. A. y trace un fjord. La mer rentrera et sera accueillie et pas seulement bordée ou pénétrée. D’un autre côté on sème. On plante cent arbres. L’agora est tout. Elle sera parmi les arbres, les chemins, près de la mer ; au-delà de la voie ferrée qui traverse la dune. Et de ce côté-ci de la voie ferrée jusqu’au chemin. Et entre les deux collines on voit les voiles qui hier furent hissées dans l’île. A partir de ce moment sous une tente, sans arrêt, les gens de l’atelier d’A., la « Bottega », travaillent sur place dans les sables. Je descends vers la mer, il y a deux kilomètres de dunes. Je regarde en passant ceux qui plantent la forêt du rien. Je m’approche des collines qui s’ouvrent comme des bras d’une fourche. En ce moment le soleil se couche entre les deux. Je me retourne, la lune vient de sortir derrière El Manco, pleine lune. Un axe incroyable traverse le terrain. La lune derrière la montagne, face au soleil derrière l’océan.

Ce n’est pas un spectacle, c’est le tracé d’une ville qui se fait à partir de cet instant, sol à sol. Tu comprends ? Je ne sors pas de mon étonnement. L’architecture : mettre ou soutenir la et ainsi l’ARCHEE. La terre advient à pleine vue. Le sable réduit les perspectives, annule les distances. Le cœur n’est pas ponctuel. Les cardinaux ne sont pas quatre. Le point n’est pas une référence à un autre de même nature. Je vais le soir venu chercher de la nourriture, toujours en tournant le film, lié à cette tâche. Nous revenons. Nous avançons seuls, en écoutant le mugissement de la mer. On se regarde préoccupé ; le Chili est pays de tremblements de terre. On monte les dunes. Le photographe s’avance, il disparaît. Je retourne agité. Il m’ap­pelle. Je cours. Entre les trépieds une longue longe de bronze chante. Pour les lunes et les étoiles. Je reste seul. Les autres sont réunis au fond des dunes autour d’un feu. Je pleure, mon vieux. Je reste doucement éloigné. Tout est tellement sans importance. Pareil aux naissances. La voix du chant se module, se tait, recommence, s’en va. Ni signes, ni sculptures, ni bâti­ments, ni poèmes, une autre réalité où ceux-ci luisent, se dénu­dant à nouveau. Claudio part à Buenos-Aires pour faire sa dernière exposition. Il a dit: « Je m’installerai dans la ville ouverte. En avant. Maintenant je sais que toute dichotomie n’a pas de sens. » Moi... ?

Avant-hier la loi est sortie. Incroyable, mon cher, le Journal officiel se trompait de date, il a fallu le refaire. On avait mis comme date le 30 mai au lieu du 30 mars. Mais mainte­nant il y a statut. Alors le prochain jeudi nous nous rappro­chons de la réalité juridique du terrain. Moi... ? Bien ! Je rentre à la Bottega d’Alberto. La poésie sera pour moi là, dans le grand métier de l’architecture.